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Bernard Andrieu est philosophe du corps et du sport, professeur en sciences et techniques des activités physiques et sportives à l’université Paris Cité et directeur de l’Institut des sciences du sport-santé de Paris. Il a publié, en juin, avec les chercheurs en sociologie de la performance sportive Hélène Joncheray (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, Insep) et Rémi Richard (université de Montpellier et Insep), Philosophie du sport : Olympisme et paralympisme (éditions Vrin, 2024, 440 pages, 15 euros), une anthologie qui montre notamment la nécessité de prendre en compte l’existence d’autres corps que les corps athlétiques et socialement normés.
Avant les Jeux paralympiques, les athlètes handisports ont parfois été qualifiés de « super-héros », leur capacité de résilience a été louée. Eux veulent juste être considérés comme des sportifs de haut niveau. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’ai été frappé par la série Incassable, diffusée sur France Télévisions, qui dresse le portrait d’athlètes en situation de handicap. Ces mini-interviews se terminent toujours par une question : « Etes-vous incassable ? » La plupart d’entre eux répondent : « Oui, je suis incassable. » Or, ces personnes sont nées avec un handicap ou ont eu un accident qui leur a fait perdre un membre, leur corps ne peut pas être incassable. On assiste là à une sorte d’héroïsation des corps, dont le paralympisme serait le point d’orgue. De l’autre côté, certains d’entre eux ne veulent pas être considérés comme étant en situation de handicap. On les comprend, mais il y a le risque d’invisibiliser ceux qui ne prennent pas la lumière et ne réalisent pas d’exploits.
Quand, avec Joël Gaillard [enseignant à la faculté du sport de Nancy], nous avons sorti notre livre Vers la fin du handicap [en 2010] et que je l’ai présenté à des associations de handicapés, tout le monde m’est tombé dessus au prétexte que nous émettions l’idée qu’il fallait supprimer le statut de personne handicapée. Ce n’est pas du tout cela !
Nous voulions montrer que, dans leur vécu quotidien, les personnes en situation de handicap ne se vivent pas comme telles, qu’elles se vivent au mieux comme hybride parce qu’elles ont des prothèses, un fauteuil roulant… Ces « objets » leur permettent de reconquérir leur corps et leur donnent la capacité de réaliser un certain nombre de choses qui les rapprochent des valides.
Mais l’hybridation est un état extrêmement instable. C’est un devenir et non un statut, mettaient en garde [le philosophe] Gilles Deleuze et [le psychanalyste] Félix Guattari dans leur ouvrage Mille plateaux [Editions de minuit, 1980]. Tout va dépendre de l’environnement de la personne, sa prothèse, son fauteuil roulant…
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